Depuis la révolution du 14 janvier 2011 et la chute du régime destourien de Ben Ali, la Tunisie a été le témoin d’un flux considérable de migrations. D’un côté, des milliers de Tunisiens, estimés à environ 15 000 selon les chiffres actuels, ont choisi une voie irrégulière en traversant le canal de Sicile pour rejoindre l’île italienne de Lampedusa. Parallèlement, le pays a accueilli un nombre significatif de réfugiés de diverses nationalités, environ 150 000, fuyant la guerre civile en Libye voisine, qui a éclaté à partir de la mi-février 2011. Les conditions économiques difficiles post-révolution, marquées par la fermeture de nombreuses entreprises, une hausse du chômage et une reprise lente de la sécurité intérieure, ont contribué à cette migration sans précédent vers l’Italie.
Ces événements ont complexifié la transition démocratique du pays, caractérisée par la succession de trois gouvernements en seulement deux mois. Les réformes politiques engagées se sont principalement concentrées sur l’amélioration des libertés publiques. Bien que l’immigration ne soit pas actuellement au premier plan des priorités, certaines de ces réformes auront inévitablement un impact sur la condition des étrangers en Tunisie. Ces individus, notamment les résidents de longue date, les conjoints tunisiens et les travailleurs étrangers, ont joué un rôle, directement ou indirectement, dans le processus de libération de la Tunisie de la dictature.
Cependant, les politiques d’entrée, de séjour et de travail pour les étrangers demeurent extrêmement restrictives selon la législation actuelle, reflétant une orientation législative fermée à l’immigration. Cette orientation trouve ses racines dans le passé colonial, avec une réglementation établie en 1968, peu après l’indépendance en 1956. Malgré les pressions du développement et un taux de chômage élevé, cette politique restrictive persiste, sauf dans certains secteurs clés de l’économie tunisienne, tels que l’investissement étranger et le tourisme, où des assouplissements ont été observés. Il devient donc impératif d’améliorer la condition des étrangers en Tunisie, d’autant plus que la législation actuelle est en contradiction avec le droit international des droits de l’homme, notamment la Convention internationale sur les droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille de 1990, bien que la Tunisie ne l’ait pas encore ratifiée.
1. L’entrée en Tunisie
Tout étranger souhaitant se rendre en Tunisie doit être muni d’un passeport en cours de validité émis par les autorités compétentes de son pays d’origine, conformément à la loi de 1968. Cependant, pour certaines catégories de personnes telles que les réfugiés et les apatrides, d’autres documents sont acceptés en lieu et place du passeport. Les réfugiés bénéficient ainsi de titres de voyage de type “C” d’une validité de deux ans, non renouvelables, tandis que les apatrides se voient délivrer des titres de voyage de type “D” pour une durée maximale de trois mois à deux ans, également non renouvelables, selon les dispositions de la loi de 1975.
En plus du passeport ou du document de voyage approprié, tout étranger doit obtenir un visa d’entrée, dont la demande est à adresser aux autorités diplomatiques ou consulaires tunisiennes à l’étranger. Cette demande doit être accompagnée de justificatifs de subsistance pour la durée prévue du séjour ainsi que des motifs de la visite. L’octroi du visa relève de l’appréciation discrétionnaire de l’administration, et les raisons d’un éventuel refus ne sont pas spécifiées. Cependant, les ressortissants des États ayant conclu des accords bilatéraux ou régionaux avec la Tunisie peuvent être exemptés de visa. En effet, plusieurs conventions ont été signées à cet effet, permettant à certains étrangers de présenter uniquement leur passeport ou même une carte d’identité en cours de validité pour entrer sur le territoire tunisien. Cette dispense de passeport est généralement accordée aux ressortissants des pays ayant des relations privilégiées avec la Tunisie.
La Tunisie a signé plusieurs conventions exemptant certains étrangers de l’obligation de visa, leur permettant ainsi d’entrer sur le territoire tunisien en présentant simplement leur passeport ou, dans certains cas, une carte d’identité en cours de validité. Cette dispense de passeport, souvent accordée dans le but de promouvoir le tourisme, autorise des séjours d’une durée maximale de trois mois, conformément à l’article 7 de la loi du 8 mars 1968.
Les accords d’établissement entre les États signataires prévoient la libre circulation des personnes. Par conséquent, les ressortissants des pays du Maghreb (Libye, Algérie, Maroc) et de l’Union européenne sont exemptés de l’obligation de visa. De plus, les ressortissants des pays membres de la Communauté des États du Sahara et du Sahel (CEN-SAD), fondée en 1998, pourraient également bénéficier de cette exemption. Cette disposition devrait être fondée sur la Convention CEN-SAD, ratifiée par la Tunisie, bien qu’elle n’ait pas été rendue publique. Cette convention vise notamment à garantir la liberté de circulation des personnes et des capitaux entre ses États membres, ainsi que la liberté de résidence, de travail, d’acquisition de biens ou d’exercice d’une activité économique dans l’un ou l’autre des États membres.
Les refus de visas ne sont pas motivés et l’administration dispose d’un large pouvoir discrétionnaire pour décider de les délivrer ou non. En vue d’améliorer la législation, il serait souhaitable d’autoriser un recours devant les juridictions administratives tunisiennes contre les décisions de refus de visas, et de prévoir un délai raisonnable pour ce recours, conformément à ce qui est admis dans certains ordres juridiques étrangers. Ce recours devrait pouvoir annuler toute décision présentant une erreur manifeste d’appréciation des faits ou portant atteinte de manière disproportionnée à la vie familiale de l’individu concerné (par exemple, le conjoint d’un Tunisien ou un parent d’un enfant tunisien).
Le refus d’entrée est appliqué à tout étranger ne présentant pas les documents requis ou dont l’authenticité est suspecte. En cas d’entrée irrégulière, des sanctions pénales sont prévues conformément aux articles 234 et 24 de la loi de 1968, et une mesure de refoulement est mise en œuvre. Les frais liés à cette mesure ne peuvent en aucun cas être supportés par le budget de l’État tunisien.
Même si un étranger est en possession de tous les documents nécessaires, il peut faire l’objet d’un arrêté d’expulsion par le ministre de l’Intérieur s’il est considéré comme une menace pour l’ordre public, selon les dispositions de l’article 18 de la loi de 1968.
Actuellement, la procédure de refus d’entrée n’est pas spécifiquement réglementée. Cependant, il est impératif d’établir une réglementation claire afin de protéger les droits fondamentaux de l’étranger et d’éviter toute décision arbitraire fondée sur des considérations non pertinentes liées à l’ordre public. Sous l’ancien régime, de nombreux abus ont été signalés, notamment l’utilisation fréquente du refus d’entrée pour empêcher l’accès au territoire tunisien des défenseurs des droits de l’homme et des journalistes qui critiquaient le régime en place.
Il est également essentiel d’accorder à l’étranger un délai avant l’exécution de la mesure d’expulsion, afin qu’il puisse informer les personnes avec lesquelles il avait prévu de se rendre, contacter son consulat ou solliciter l’assistance d’un avocat de son choix.
Si l’étranger expulsé se trouve dans l’incapacité de quitter la Tunisie, la loi de 1968 prévoit une mesure d’assignation à résidence. Dans ce cas, l’étranger est tenu de se présenter régulièrement au poste de police ou de la Garde Nationale de sa résidence, en attendant qu’il lui soit possible de quitter le pays.
2. Le séjour en Tunisie
Pour les étrangers de moins de 16 ans résidant en Tunisie ou dont le séjour ne dépasse pas trois mois, ou six mois non consécutifs dans l’année, aucune formalité n’est requise. Cependant, tous les autres étrangers doivent demander une carte de séjour.
La carte de séjour, émise par la direction générale de la Sûreté Nationale, contient les informations complètes de l’étranger, sa profession et son lieu de résidence. En cas de changement de résidence, l’étranger doit en informer les autorités.
La délivrance de la carte de séjour nécessite préalablement l’obtention d’un visa de séjour. Cette carte est généralement temporaire et est accordée à ceux qui ne remplissent pas les conditions pour obtenir une carte de séjour ordinaire ou qui n’ont pas l’intention de s’installer définitivement en Tunisie.
La carte de séjour temporaire est délivrée aux étrangers titulaires d’un visa de séjour temporaire, obtenu après une demande auprès des autorités tunisiennes, accompagnée de la justification des raisons du séjour et de la preuve de l’entrée légale en Tunisie ainsi que des ressources disponibles sur place. En cas de refus de visa de séjour temporaire, l’étranger doit quitter la Tunisie dans le délai spécifié par la décision de refus, sous peine de refoulement et de sanctions pénales selon la loi de 1968.
La durée de validité du visa de séjour temporaire correspond à celle des documents justificatifs fournis, avec une limite maximale d’un an, sauf exceptions autorisées par le ministre, notamment pour les hommes d’affaires ou investisseurs résidant en Tunisie depuis un an, pouvant bénéficier d’un visa temporaire de cinq ans.
La carte de séjour temporaire est délivrée pour une durée qui ne dépasse pas celle du visa et ne peut être renouvelée que si son titulaire obtient un nouveau visa de séjour. Elle peut être retirée en cas d’actes préjudiciables à l’ordre public ou si les motifs initiaux de l’octroi du visa et de la carte de séjour disparaissent. Le retrait peut également être motivé par une mesure d’expulsion, une interdiction de séjour ou l’exercice non autorisé d’une activité professionnelle.
En cas de retrait de la carte de séjour temporaire, l’étranger doit quitter la Tunisie dans un délai de huit jours. Les décisions administratives de refus de délivrance de visa ou de carte de séjour temporaire, ainsi que de retrait de cette dernière, peuvent être contestées par un recours pour excès de pouvoir devant la jurisprudence administrative.
Un contrôle minimal, exercé de manière étendue à travers le contrôle de “l’erreur manifeste d’appréciation”, devrait être possible par le juge administratif, même s’il n’y a pas encore de jurisprudence sur cette question. Cependant, cela peut être attribué au court délai accordé à l’étranger pour quitter la Tunisie. Ce délai, fixé discrétionnairement par l’administration lors du refus de visa de séjour temporaire et limité à huit jours en cas de retrait de la carte de séjour, ne laisse en effet pas suffisamment de temps à l’étranger pour introduire un recours.
La carte de séjour ordinaire est accordée à la demande de l’étranger ayant reçu préalablement un visa de séjour ordinaire, ou à ceux nés et résidant en Tunisie de manière continue, ou ayant rendu des services appréciables à la Tunisie. Ce visa peut également être accordé aux étrangers résidant en Tunisie en séjour temporaire depuis cinq ans sans interruption, aux étrangères mariées à des Tunisiens, ou aux étrangers ayant des enfants tunisiens. Toutefois, un étranger qui se voit refuser le visa de séjour ordinaire peut obtenir un visa de séjour provisoire.La carte de séjour ordinaire a une durée de validité de deux ans, renouvelable, mais peut être retirée à l’étranger si les motifs initiaux de son octroi disparaissent ou s’il fait l’objet d’un arrêté d’expulsion. Dans le cas d’un retrait, l’étranger doit quitter la Tunisie dans un délai de huit jours, sous peine de sanctions.
Certaines catégories d’étrangers bénéficient de cartes de séjour ordinaires de “longue durée”, notamment ceux bénéficiant d’un regroupement familial. À titre d’exemple, les ressortissants des États ayant signé une convention avec la Tunisie peuvent bénéficier de cartes de séjour de dix ans en vertu de la Convention tuniso-française de 1988.
3. L’exercice d’une activité économique en Tunisie
Concernant l’exercice d’une activité économique en Tunisie, certaines professions sont interdites aux étrangers, tandis que d’autres sont soumises à autorisation préalable. L’accès à la fonction publique ainsi qu’au secteur public et nationalisé est réservé aux nationaux. Le recrutement de personnel étranger dans ces domaines peut se faire par voie contractuelle et pour une durée déterminée, conformément aux dispositions contractuelles et aux conventions internationales de coopération technique ou administrative.
La plupart des professions libérales sont également réservées aux nationaux, mais des dérogations peuvent être accordées pour certaines professions telles que médecin ou architecte. Ces autorisations sont accordées par les ministères compétents après avis des conseils professionnels correspondants. De plus, l’exercice d’une activité commerciale par un étranger est soumis à une autorisation préalable du ministère de l’Économie. Certains secteurs commerciaux sont interdits aux étrangers, sauf dérogations spéciales.
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